Samir

On dirait bien un dauphin, c’est vraiment curieux !

Adil

Tiens, je vais essayer de lui parler.

Samir

Oui c’est ça ! (sur un ton moqueur) et prends des nouvelles de sa famille pendant que tu y es !

Adil

Tiens, on se tutoie maintenant ! Après tout, pourquoi pas ? (s’adressant à Adil) Eh machin ! (s’adressant au dauphin) Salam !... je suis là ! Il ne répond pas, (s’adressant de nouveau à Adil) je pense qu’il ne comprend pas notre langue.

Samir

C’est peut-être un dauphin américain qui a traversé l’Atlantique, parle-lui en anglais !

Adil

Hello ! Si tu es un étranger, tu ne pouvais pas mieux tomber. Ici, on traite les étrangers mieux que les autochtones.

Samir

Ça m’étonnerait qu’il nous vienne des dauphins américains en ce moment, (Samir avec un mouvement de tête vers le public).

La maquette du dauphin disparaît.

Adil

Rappelle-moi ce qu’on disait avant cette étrange apparition.

Samir

J’espérais que tu me dises pourquoi la prime ne cesse d’être reportée, elle fut annoncée puis reculée sans explication deux fois cette année.

Adil

Une prime, c’est quand même comme un cadeau, on ne doit pas trop compter dessus. Tant qu’on ne l’a pas entre les mains…

Samir

Ma femme m’en demande des nouvelles chaque soir, c’est devenu automatique et tellement désagréable. La première chose que j’entends quand je passe la porte c’est : est-ce que tu as eu la prime ?

Adil

Ah je comprends mieux maintenant. Est-ce que tu as des enfants ?

Samir

Non, et je n’en veux pas pour le moment. Ça fait deux ans que nous nous sommes mariés Leïla et moi. Nous travaillons tous les deux mais nous n’arrivons pas à joindre les deux bouts. Nous voudrions mettre un peu d’argent de côté avant de faire un enfant mais c’est loin d’être gagné. Et toi ?

Adil

Je suis célibataire, un célibataire endurci comme on dit. Plus j’avance dans l’âge et plus je suis persuadé de ne rien comprendre aux femmes, pourtant je les aime.

Samir

Ben où est le problème ? C’est peut-être elles qui ne t’aiment pas, ha ha ha !

Adil

Tu n’y es pas du tout, mon problème est que je n’ai pas envie de me marier, de m’engager pour de bon, quoi !

Samir

Pour résumer, tu n’arrives pas à te fixer, à construire ton nid comme on dit.

Adil

C’est l’aspect hasardeux dans le mariage qui m’inquiète, la peur de faire le mauvais choix. J’attends d’être sûr à cent pour cent avant de faire le pas.

Samir

Sûr à cent pour cent, dis-tu ? Eh ben ! Tu ne te marieras jamais mon vieux.

Adil

Tiens, On commence à voir le phare d’El Jadida.

Une lumière s’allume à l’autre bout de la scène.

Samir

Eh oui le phare de Sidi Bouafi, que sa baraka soit avec nous !

Adil

Je me demande si les gens font encore monter leurs enfants atteints de la coqueluche en haut du phare pour les guérir. Le nombre de pères qui avaient le courage de monter deux cent quarante-huit marches, enfant sur le dos, il fallait le faire tout de même !

Samir

Je crois que ça ne se fait plus de nos jours, la médecine a détruit la légende.

Adil

Pourvu que ça profite aux enfants malades !

La ville apparaît au fond de la scène.

Samir

Ça y est on arrive, voici les lumières d’El Jadida qui apparaissent. A cause d’une grue tombée en panne ce matin, ma journée a été des plus dures. J’ai hâte de retourner au bercail. J’ai besoin d’une douche chaude et d’un bon repas.

Adil

On sent que tu es ravi de rentrer chez toi, pas comme moi. Rien ni personne ne m’attend.

Samir

Ne dit-on pas que le prix de la liberté, c’est la solitude ?

Le portable de Samir sonne. C’est Leïla qui l’appelle pour prendre de ses nouvelles et elle lui apprend qu’elle est rentrée plus tôt à la maison et a préparé un gros poisson au four pour le dîner. Adil entend leur conversation, il regarde Samir avec des yeux envieux.

Samir

Ah mon vieux, ce que tu penses est écrit sur ton visage. Allez, je t’invite à dîner ! Tu sais, nos revenus sont très modestes mais bien manger est l’une de nos priorités.

Adil

J’accepte avec plaisir, merci infiniment !

Fin de l’acte

Deuxième acte

Scène I

Décors : Le salon de la maison de Samir. Des banquettes, une table et une télévision. Une porte à chaque bout de la scène : une porte qui mène à la cuisine et une porte de sortie vers l’extérieur de la maison. Sur scène Adil, Samir et Leïla.

Samir

Je te remercie, grâce à toi je vais échapper à la question habituelle de ma femme sur la prime.

Adil

Méfie-toi, elle va t’entendre !

Leïla montre qu’elle est très surprise de voir Adil. Samir fait les présentations. Prenant son mari par la main, Leïla l’entraîne au loin.

Leïla

Qui est-ce ? Pourquoi tu ne m’as pas prévenue ?

Samir

Mais si, mais si, je t’ai envoyé un SMS, regarde sur ton portable !

Leïla

Tu l’as fait exprès. Tu sais que je ne fais pas attention à tous ces SMS, ces MMS et ces tralalas !

Samir

Je t’expliquerai plus tard, maintenant ce n’est pas poli de laisser mon invité de côté, il va se sentir indésirable.

Les deux reviennent vers Adil, accueillants et souriants.

Leïla

Bienvenue chez nous ! Voulez-vous boire un thé en attendant le dîner ?

Samir

Oui, c’est une bonne idée.

Leïla

Je vais vous le préparer. (Soudain elle se rappelle quelque chose qui la préoccupe, elle prend son mari en aparté et lui dit) Ah mais non, je dois d’abord planter mon noyau de datte, j’ai déjà préparé le pot et la terre ce matin mais ça ne se fera pas tout seul.

Samir

Planter un noyau de datte, en voilà une idée bizarre mais pourquoi faire ?

Leïla

A cause d’un rêve que j’ai fait hier. Alors ce sera à toi de faire le thé, s’il te plaît.

Samir

Pas la peine, nous pouvons bien nous en passer. Va faire ce que tu as à faire, nous allons regarder la télé pour patienter jusqu’au dîner.

Il allume la télévision puis revient s’asseoir à côté d’Adil. Pendant ce temps, Leïla sort de scène.

Scène II

Samir

Ça c’est nouveau, elle se met à semer des noyaux de dattes maintenant ! (s’adressant au public, l’air très préoccupé, alors qu’Adil ne l’entend pas). Elle disait qu’elle ne voulait pas avoir de plantes à la maison à cause de l’entretien et des feuilles qui tombent par terre. Si elle se met à appliquer ce qu’elle voit dans ses rêves, j’ai du souci à me faire !

Adil

Regarde ! Ils parlent des jeunes adolescents de Nador. Augmente le son s’il te plaît, je n’entends pas bien.

Samir

D’accord ! (Il le dit en allant augmenter le son de la télé puis il s’assoit). Pauvres gamins, on a détruit leur vie à cause d’un baiser. Quelle connerie !

Adil

Ben oui, de temps en temps on nous fait une piqûre de rappel pour qu’on n’oublie pas dans quel type de sociétés nous vivons, une société qui estime qu’un baiser échangé entre