Je n’ai pas été très surpris lorsque j’ai appris que Maria Zaki avait traduit ces textes en langue arabe. Son lien étroit avec sa ville natale, son pays et sa culture est, sans doute, à l’origine de son choix de partager cette expérience avec les lecteurs de cette langue. Mais le fait qu’elle ait décidé de traduire ses textes elle-même m’a poussé à m’interroger sur la motivation de ce choix et sur ses causes profondes, sachant qu’il est parfois difficile pour un poète de composer des poèmes en deux langues différentes, en des temps différents et probablement en des lieux également différents, l’origine de la créativité étant unique, je veux dire par là que les sentiments, les images, les souvenirs qui stimulent un esprit créatif, qui le traversent et le font réagir en faisant jaillir les mots et affluer la poésie, imposent eux-mêmes la langue à laquelle le poète doit se soumettre.

 

Le sens est pur dans l’esprit et dans le cœur du poète avant que les mots et les expressions langagières ne le consignent et le classent dans des modes familiers (style général) ou plus singuliers, marquant l’expérience du poète et son style d’écriture.

 

Le désir de Maria Zaki d’exprimer ses sensations et ses réflexions d’abord en langue française puis en langue arabe, et sa détermination, lui ont permis de bien peser les mots et les phrases, tantôt en les maintenant tels quels, et tantôt, en s’affranchissant de l’un d’entre eux afin de sauvegarder le dire ou le contexte, car la langue, comme il est d’usage, est une entité qui s’exprime non seulement à travers sa construction interne mais aussi par ses particularités liées à l’environnement et à la culture où elle naît et se développe.

 

Maria Zaki a réussi à rapprocher de nous les sensations qu’elle a réellement vécues et celles que son imaginaire a tissées, ainsi que les fulgurances émotives introduites ça et là dans ses poèmes qui sont particulièrement axés, dans ce recueil, sur l’affection, la générosité et l’empathie. Nous pouvons lire simplement les mots ou concevoir les flammes émises par leur signification profonde, constater l’apparition de l’un d’entre eux dans une langue ou sa disparition dans l’autre, pendant que la poétesse demeure seule maîtresse à bord, avec son caractère serein, tenant les rênes des mondes tissés par son imaginaire et ceux meublés par sa mémoire : leurs caractéristiques, leurs faits et leurs spécificités.

 

Elle a essayé (et a réussi en cela) de nous rendre plus proches du sentiment qui l’a animée durant « son chemin vers l’autre », avec ses symboles et ses significations, dans une première langue puis dans une seconde. Elle nous a fait sentir son oscillation entre deux mondes qui ont marqué sa démarche créative, entre deux langues comme disait Jahiz : « Chacune (…) attire l’autre, prend d’elle et s’oppose à elle. »


Abdelouahad Mabrour

Professeur de linguistique

Doyen de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines

Université Chouaïb Doukkali, El Jadida, Maroc

Septembre 2013