Préface de Chawki Abdelamir
Directeur général de l’Institut du monde arabe
Dans la poésie, la langue se résume sans se réduire.
C’est donc dans la poésie que réside la force pour contenir l’immensité de l’existence humaine. Et ceci est pour une raison : Bachelar nous dit que la poésie est une interrogation donc une verticalité ; contrairement au récit qui est horizontal, il va d’un événement à l’autre, comme dans un train.
Ce phénomène traduit la difficulté qu’engendre le rapport avec la poésie pour le grand public, car cette verticalité n’est pas offerte à tout un chacun ; elle demande une interrogation de la durée qui a tendance à épouser le récit plutôt, puisqu’il suit horizontalement les événements.
Ce phénomène explique en même temps la facilité pour le grand public à communiquer avec les récits dans tous ses genres : roman, nouvelle et histoire.
La question poétique est donc une question d’interrogation de l’être et du monde. Le poète nous interpelle, le romancier nous relate. La poésie de ce fait est intemporelle, et son rapport avec le temps comme une demeure dans une unité compacte. Le passé avec le présent et le futur ne font qu’un temps unique soudé dans la poésie, et dans la poésie seulement.
Pour la langue arabe, la question poétique va plus loin encore, elle est née avec son existence et continue à la porter au monde comme la langue la plus poétique. Ceci s’explique par le fait qu’elle a donné son âme, à travers tous les âges, à sa poésie qui est devenue à la fois foetus et mère pour elle.
La pérennité de la langue arabe aussi s’explique par sa poésie, sa dimension sacrée revient à la poésie, et sa grammaire obéit d’abord à la poésie.
A l’époque, avant l’avènement de l’Islam, la poésie était accrochée au plafond de la Kaaba, à la Mecque, au même titre que les idoles (Al Muallaqât). L’Islam n’a fait que confirmer cette vocation sacrée, car le Coran est écrit en langue plutôt poétique. Le sacré dans le monde a survécu donc dans l’ombre de la langue.
C’est pourquoi l’Institut du monde arabe, en célébrant le Printemps de la poésie, ne fait que répandre le trait le plus profond de l’âme du monde arabe. Les poètes qui ont lu ce soir-là ont confirmé par leur talent cette vocation arabe qui rayonne depuis vingt siècles.
Paris, le 6 mai 2025